Les carriers de Berchères

La transport de la pierre de Berchères au temps de la construction de la cathédrale Notre Dame de Chartres.

La pierre de Berchères, tout un parcours

gravure du XVIIème siècle (BNF)

« la pierre employée à la construction de la cathédrale de Chartres fut tirée de la carrière de Berchères, village situé sur la route de Chartres à Orléans. Cette pierre, de nature calcaire, est très dure et reçoit le poli du marbre, mais elle présente des cavités, et le banc n’est est pas fort épais. La carrière de Berchères est la suite qui en fournit la ville. »

Histoire de la ville de Chartres Doyen, 2 vol in 8°, T. 1, 1786, p. 326.

Comment extrayait-on la pierre ?
Quel était le chemin emprunté ?
Comment étaient transportées les pierres ?

L’extraction de la pierre

Avant la mécanisation des systèmes d’extraction à la fin du XIXe siècle, la technique traditionnelle d’extraction de la pierre de son banc n’a guerre évoluée depuis le Moyen Âge.

collection privée

L’enfouissement à faible profondeur du banc de pierre permit à la carrière de Berchères d’être exploitée à ciel ouvert. La première étape consistait à dégager le banc de pierre calcaire. La couche de terre en surface, appelée découverte, était retirée pour accéder aux strates de pierre. Entre la couche de découverte et le banc de pierre, les strates de terre et de petites pierres se confondent. Ces pierres désignent les moellons. Les moellons étaient également évacués avec la couche de découverte. Toutefois, ils pouvaient être réutilisés pour construire des habitations (de nombreuses maisons de Berchères sont constituées de moellons) ou bien transformés en chaux.

Une fois le banc de pierre dégagé, les blocs de pierre pouvaient être extraits. A l’aide de coins métalliques répartis sur le pourtour du potentiel bloc, les carriers le détachent progressivement. Pour faciliter la scission d’un bloc, les coins pouvaient être positionnés le long d’une fissure.

Avant d’être envoyés sur les chantiers, les pierres pouvaient être épannelées sur place. Épanneler signifie mettre le bloc au gabarit souhaité pour son futur emploi. L’épannelage permettait à la fois d’alléger le matériau lors de son transport et d’économiser de l’espace autour du chantier.

Vous pouvez télécharger ce schéma explicatif de l’extraction de la pierre.

Les routes qui existaient au XIIIe siècle

carte de Cassini après le XIIIème siècle

En s’appuyant sur les cartes anciennes, les récits retranscrits, un trajet semble se tracer.

En 1er lieu, il existait des voies romaines dont deux passaient près de Berchères :
– celle d’Allonnes vers Allaines, la voie VII ou « le chemin de César » (tracé en rouge)
– celle de Voves, la voie XVI qui est une déviation du chemin de Chartres à Orléans (tracé en vert)

Une autre route, la voie IX était celle de Chartres-Varize qui passe par Dammarie et Morancez (tracé en bleu).

En 2ème lieu, il faut s’appuyer sur le nom des chemins (chemin de Berchères à Gellainville et au Coudray), sur les maladreries (le Grand Séminaire) et les croix qui jalonnent les routes les plus empruntées.

Il n’y a pas eu qu’un chemin de Berchères à Chartres, mais au moins deux, avec des variations et on empruntait le moins mauvais…

Un seul chemin de Berchères à Gellainville.

– deux ou plusieurs variantes entre Gellainville et Saint-Brice au niveau du Gord
– un seul chemin (la rue de Saint-Brice) de l’Eure jusqu’à la cathédrale (pente idéale, pas trop fort de 2,2%)

évêché de Chartres 1701

Trajet correspondant au tracé rouge sur la carte de Cassini

C’est la voie romaine Chartres / Orléans, jalonnée de maladreries dont celle de Beaulieu. Cette voie entre dans Chartres au lieu-dit la Maladrerie (aujourd’hui la rue porte ce nom) et se prolonge en ligne droite jusqu’à ce qui est actuellement la place Morard. Au XVIIIème siècle, cette route deviendra la N154.
Au niveau de la place Morard se trouve une passerelle en bois pour traverser l’Eure, « le pont-qui-tremble » impraticable aux charrois venant des carrières de Berchères.

En continuant le long de l’Eure, les charrois la traversent au plus bas sous la cathédrale. Pour tous les transporteurs, c’est l’endroit le moins facile d’accès pour rejoindre la ville. Il faut en effet gravir la rue Saint Pierre ou la rue Saint Eman surtout avec des chevaux ou des bœufs de petite taille !
Donc pour éviter ce piège, les convoyeurs quittent la voie romaine ou la route d’Orléans à la Maladrerie et traversent le Grand Séminaire ou les Chaises. Ils pouvaient emprunter ce qui est aujourd’hui la « rue du Grand Séminaire » puis la rue du 18 août où se trouve une Croix sur un socle en brique.

Ensuite, ils suivaient l’actuelle rue Charles Isidore Douin. Après la Croix Chaussant, la pente est très raide pour descendre jusqu’au Gord. C’était une grande difficulté pour un chariot lourdement chargé.
La suite du parcours est ensuite identique au tracé vert.

« Le Pont de la Courtille actuel, ne fut édifié en pierre qu’en 1768. Avant cette époque, se trouvait une passerelle en bois, appelée le pont-qui-tremble. »

Trajet correspondant au tracé vert sur la carte de Cassini

De Gellainville, les bardeurs se dirigeaient vers Le Coudray (D. 339-7 actuelle) pendant environ 600 mètres.

Ils empruntaient ensuite un chemin le long d’un ruisseau, mis en impasse de nos jours par le talus de l’autoroute.

Au Coudray, ils prenaient la « rue de Voves » pour arriver dans le quartier du Gord (Nom tiré du vieux français dont le sens est gouffre, lieu entouré d’eau). La rivière passée à gué. Ils franchissaient l’Eure par les trois ponts de Saint-Martin pour arriver au faubourg Saint Brice.

Ils abordent la rue Saint Brice en montée assez douce pour se diriger vers la Porte-Saint-Michel (place Pasteur) close le soir. Après la rue des Changes, le parcours est terminé.

D’après le plan de 1750 revu par A. Chedeville

Les protagonistes de la construction de la cathédrale de Chartres (1194-1260)

Virgini Pariturae

Trois catégories de personnes sont à l’origine de cet essor si impressionnant puisque c’est la seule cathédrale qui a été érigée si rapidement.

Les commanditaires : les Chapitre avec ses évêques connus et très puissants au Moyen-Âge tel que l’instigateur de la précédente cathédrale, l’évêque Fulbert qui trouva les fonds suffisants. Il permit à son successeur Geoffroy de Lèves de construire le portail royal après l’incendie de 1134. En 1194, après un nouvel incendie, c’est l’évêque Renaud de Mouçon que reviendra la mission de lance la construction de la 6ème et dernière cathédrale consacrée par Louis IX (Saint Louis).

Les constructeurs : Les maîtres d’œuvre anonymes de Chartres sauf pour Simon Daguon, Bérenger et Jehan le Texier dit Jehan de Beauce.

Les donateurs : Les Rois de France (Robert II dit le Pieux), le roi du Danemark sous Fulbert, le comte de Chartres, les ducs d’Aquitaine et de Normandie… Mais il ne faut pas oublier les impôts prélevés sur l’activité agricole florissante de la Beauce donc les Beaucerons.

Une dernière aide aussi est à considérer : le retentissement sur la foi chrétienne avec le puits des Saints-Forts, la Vierge Noire, les miracles de Chartres et surtout pour grossir le flot des pèlerins et des revenues, La Sainte Chemise devenue Le Voile de La Vierge. Elle fut offerte par Charles le Chauve vers 876.

Le travail de l’équipe

Marques de tâcherons à Chartres

D’après John James, les neuf constructeurs de la cathédrale possédaient des équipes qui travaillaient tour à tour en allant de chantier en chantier.

Il n’exclut pas que la carrière soit une base permanente où vivaient le maître et ses compagnons avec peut-être leur famille.

Lorsque les gabarits étaient composés pour économiser le travail et le coût, les contremaîtres, prenaient sans doute le relais. Ce n’est qu’une supposition, la seule preuve est que les œuvres, des mêmes ouvriers se retrouvent à travers le Nord de la France.

Entre les premières pierres des fondations, les galbes et les parties hautes des tours, soixante-quatre programmes distincts de construction sont accomplis sans superposition organisée pour aboutir au chef d’œuvre qu’est la cathédrale de Chartres.

Le transport avec les ouvriers

vitrail de l’église de Berchères, XIXème siècle.
Les scènes représentées ne sont pas des reportages. Le vitrailliste les a imaginées.

Le maître carrier avait sous ses ordres différentes personnes (conducteur, soucheveur, trancheur, hommes d’atelier et hommes de bricole).

Les bardeurs, les charretiers transportaient la pierre vers le chantier cathédrale.

En s’appuyant sur des représentations sur les vitaux, il s’avère que le chariot était différent de notre époque.

Nous savons aussi que c’étaient des bœufs, cheveux de petite taille mais aussi des hommes qui tractaient le chargement.

Commentaire sur les vitraux

Les deux essieux sont proches l’un de l’autre pour faciliter les virages. L’avant-train tournant n’arrive dans notre pays qu’au début du 17ème siècle. Henri IV a été assassiné dans un char sans avant-train tournant tandis que la raine avait pris le char avec avant-train tournant. L’inverse aurait peut-être empêché Ravaillac d’assassiner le roi.

extrait des vitraux de la cathédrale de Chartres (vitrail de Saint Nicolas, baie 14)

1er vitrail : il y a des sacs (80 à 100 kg de blé chacun probablement) dans le chariot.

On compte 6 ou 7 sacs et avec certainement deux rangées, soit 1100 à 1400 kilogrammes. Il serait donc possible de transporter des pierres de cette façon.

Les bœufs ne marchent en charge qu’à 3 km/h, doivent faire des pauses et ne peuvent travailler que 6 heures par jour.

extrait des vitraux de la cathédrale de Chartres (vitrail des Miracles de Notre Dame, baie 38)

2ème vitrail : le chariot est comme le précédent très chargé (il y a un fût de vin, peut-être un demi-pièce, 110 litres environ). Il est tiré et poussé par des gens.

La charge qu’un véhicule peut transporter dépend :
– essentiellement, du poids des tractionneurs (chevaux, bovins et autres)
– de l’énergie qu’ils sont capables de développer, en particulier au démarrage, mais également dans les passages difficiles, côtés et mauvais terrains, déduction faite des pertes par frottement dues aux imperfections du véhicule
– de leur harnachement, du degré de perfectionnement de celui-ci
– du véhicule lui-même, de ce qu’il peut supporter sans risque de rupture
– enfin, de l’état du chemin qui est, au XIIIème siècle déplorable

Le transport avec les pelerins

G. Duplessis (le livre des miracles de ND) en 1225 relate :

vitrail portail sur cathédrale de Chartres

« la communauté des bretons, installés à Chartres, décide d’aller chercher à Berchères un chariot de pierres, pour contribuer à la reconstruction de la Cathédrale. Ils tiennent à s’atteler sans l’aide d’autres personnes à leur « fardier » chargé de pierres. Paris de la carrière un peu tard, ils s’égarent dans la nuit noire, puis sont guidés par un lumière mystérieuse. »

Robert de Roigny, abbé du Mont Saint Michel, évoque l’enthousiasme qui règne sur le chantier. Ce fut à Chartres que l’ont vit pour la première fois des hommes traîner, à force de bras, des chariots chargés de pierres, de bois, de vivres et de toutes les provisions nécessaires aux travaux de l’église dont on élevait les tours.

Éloge de la pierre de Berchères

Sources imprimées :
CHALLINE C., Recherches sur Chartres, transcrites et annotées par un arrière-neveu de l’auteur, Chartres, Société Archéologique d’Eure-et-Loir, (réédition 2006), 1918.
LÉPINOIS E., MERLET L., Cartulaire de Notre Dame de Chartres, publié sous les auspices de cette société d’après les cartulaires et les titres originaux, 3 t., Chartres, Société archéologique d’Eure-et-Loir, T. 1 1862, T. 2 1863, T. 3 1865.

Bibliographie :
ARMOGATHE J.-R.(dir.), Monde médiéval et société chartraine , Actes du colloque de Chartres, 8-10 sept. 1994, Paris, Picard, 1997.
BILLOT C., Chartres à la fin du Moyen Âge , Paris, Éditions de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, 1987.
CHÉDEVILLE A., Chartres et ses campagnes (XIe-XIIIe s.), Paris, Publications de l’Université de Haute-Bretagne, Éditions Klincksieck, 1973.
JAMES J., Chartres, les constructeurs, 3 t., trad. MAUNOURY D., Chartres, Société archéologique d’Eure-et-Loir, T. 1 1977, T. 2 1979, T. 3 1982.
OLLANGIER A., JOLY D., L’Eure-et-Loir, 28, Collection Carte archéologique de la Gaule, Paris, Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 1995.

Cette page a été rédigée par l’équipe de Berch-Pierre avec l’aide de M. Marcel Girault et de Laurence Jeuffroy.